An 2000 : le danger vient aussi du droit

par Guillaume le Foyer de Costil

avocat

article paru en décembre 1999 (depuis sans objet)

 Chaque jour paraît un article, une mise en garde, un avertissement, une alarme ; chaque semaine les entreprises reçoivent des devis et des propositions, chacun d’entre nous a été touché par l’information : si nous ne prenons pas les précautions convenables le premier janvier 2000 à zéro heure le « bogue » de l’an 2000 détruira nos systèmes informatiques et réduira à néant le fruit de nos efforts.

Ce flux d’information n’est pas désintéressé ; il a pour finalité l’exonération successive des participants de la chaîne économique. En premier lieu les fournisseurs informatiques. Ceux-ci ont réussi le tour de force de mettre en place une doctrine non écrite, mais que les divers colloques organisés sur le sujet tiennent aujourd’hui pour établie : les matériels et logiciels construits ou développés avant 1995 n’ont pas à être « compatibles an 2000 ».

Le reste des agents économiques susceptibles d’encourir une responsabilité le premier janvier 2000 préparent aussi leur défense : la surinformation du public sur le sujet sera, selon les mêmes experts, exonératoire de leur responsabilité : une entreprise ainsi avertie et qui n’intervient pas sur ses systèmes aura commis une faute de négligence la privant de toute réparation des dommages indirects.

Or ce consensus apparent ne repose sur aucun fondement juridique sérieux. Le législateur français, qui d’ordinaire réglemente et taxe tout (…l’air, la mer la terre et les oiseaux…), a jugé urgent de ne pas intervenir, contrairement à son homologue américain, estimant pour une fois que les rapports contractuels devaient rester libres ; quant à l’Union Européenne, elle s’est bornée à des campagnes d’information.

 

Ce sont donc les divers tribunaux de tous les ordres (civil, pénal, prud’homal, administratif et commercial) qui auront à construire, à compter de l’année prochaine, la jurisprudence française de la responsabilité informatique liée au passage à l’an 2000.

 

Lorsqu’on connaît la variété culturelle des juges français, tous susceptibles d’intervenir dans le sujet, y compris au niveau le plus élevé, on ne peut que recommander la plus grande prudence : le domaine est celui de l’insécurité juridique maximale (on ne connaît à ce jour que trois décisions judiciaires sur le sujet, dans seulement deux affaires, relatives à la prise en charge d’une mise à jour de système ; aucune ne va dans le même sens !).

Rien ne dit que la cour d’appel de Montpellier, saisie après la destruction de données d’une entreprise commerciale, acceptera de ne pas faire application des dispositions du code civil sur la garantie dans la vente et d’exonérer le fournisseur de matériel informatique des conséquences de cette perte de données au motif que son client aura refusé de mettre à jour ses systèmes à ses frais.

Rien ne dit non plus que la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Douai relaxera le directeur d’un hôpital après la mort d’un patient victime de la panne d’un respirateur au motif qu’il l’avait fait vérifier par un spécialiste.

Rien n’assure que la cour administrative d’appel de Lyon refusera l’indemnisation du département du Rhône à la suite de la défaillance du matériel de ses services d’aide sociale affectés par le changement de millénaire.

A entendre les divers intervenants des nombreux colloques organisés sur le sujet, la responsabilité des remplacements et des futurs dommages a aujourd’hui basculé dans le camp des utilisateurs finaux des systèmes.

Il n’est pas sûr que les tribunaux, qui statueront dans la sérénité de l’examen de situations individuelles, accepteront de « socialiser » le dommage ; ils auront à l’esprit l’image des profits immenses réalisés par les entreprises du secteur informatique.

L’approche juridique de la réparation du dommage sera d’autant plus indispensable que les assureurs, si la vague de réclamation est importante, auront tendance à réserver l’indemnisation amiable aux cas les plus graves.

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