Rapport au Comité d'Éthique et de Déontologie

LA RELATION DE L'AVOCAT AVEC SON CLIENT AU TRAVERS DE L'INTERNET

APPROCHE DÉONTOLOGIQUE

 par Guillaume le FOYER de COSTIL Ancien membre du Conseil de l'Ordre

25 octobre 1999

Le présent rapport se propose d'aider le Comité d'Éthique et de Déontologie, puis le Conseil de l'Ordre, à mettre en place une première définition des règles déontologiques régissant l'utilisation, aujourd'hui courante, des systèmes de communication électronique recourant au réseau Internet en focalisant la réflexion sur les relations de l'avocat avec son client.

Le présent rapport laisse volontairement de côté la question de la publicité de l'avocat sur l'Internet, qui doit faire l'objet d'une réflexion spécifique, celle de la communication électronique entre avocats, qui pose des problèmes différents, et celle enfin de la communication électronique des avocats avec les juridictions, qui nécessite notamment que le projet "chaîne civile" de communication entre l'avocat et le Tribunal de Grande Instance de Paris soit entré dans sa phase d'expérimentation effective.

La réflexion sur ce point est apparue nécessaire au Comité d'Éthique à la fois parce que l'utilisation de l'Internet devient extrêmement courante dans les relations entre les avocats et leurs clients, mais aussi parce que l'American Bar Association a récemment rendu publique une "Formal Opinion" datée du 10 mars 1999 et relative à cette même question.

L'examen de la question ainsi définie nécessite que soit brièvement dressé le catalogue des moyens électroniques de communication disponibles pour l'avocat (1), que soient suggérées, en étudiant les solutions étrangères (2), les recommandations possibles quant aux moyens techniques devant être évités ou pouvant être retenus (3) et qu'enfin soient approchées les règles relatives au contenu de cette communication électronique (4).

 

1. Les moyens de communication électronique aujourd'hui disponibles

Plusieurs possibilités s'offrent à l'avocat pour communiquer avec son client par une relation électronique.

· Il peut en premier lieu établir une liaison directe avec son client, par une ligne spécialisée qui peut servir soit à échanger des messages traditionnels, soit à l'une des parties à accéder aux fichiers de l'autre.

· Il peut aussi établir la même relation, mais sans passer par une ligne spécialisée, en utilisant le réseau téléphonique classique et deux appareils placés à chaque bout de la ligne, appelés "modems", qui traduisent le langage électronique en langage téléphonique, et vice versa.

· L'avocat et son client peuvent aussi se permettre, mutuellement ou non, d'accéder à un réseau commun sécurisé (extranet) ou l'un peut permettre à l'autre d'accéder au réseau de son cabinet ou de son entreprise (intranet sécurisé) et lui permettre par ce moyen d'aller récupérer, consulter ou déposer des fichiers, permettant une communication.

· L'avocat et son client peuvent chacun disposer d'un compte chez un fournisseur de services (Internet Service Provider ou I.S.P.) chez qui les messages sont déposés et transmis électroniquement à destination de l'autre, également abonné à un fournisseur de services, qui peut être le même.

C'est la situation la plus courante.

· Enfin, certaines sociétés opérant dans le domaine de l'Internet proposent d'héberger des boîtes aux lettres accessibles depuis n'importe quel point d'accès à l'Internet, au moyen d'un simple mot de passe, ce qui évite de se connecter directement aux fournisseurs de services.

C'est ce que l'on appelle l'Internet e-mail.

Quel que soit le mode de transmission retenu, les messages peuvent être cryptés, c'est-à-dire transformés au moyen d'un algorithme (dit "clé virtuelle"), voyager sous cette forme, et, à l'arrivée, être décryptés au moyen d'un algorithme inverse par le destinataire.

L'évolution récente de la législation française permet l'utilisation d'une clé électronique dite "à 128 bits" dans les algorithmes de chiffrement, protection très efficace contre l'intrusion.

Tous ces moyens peuvent être assez facilement utilisés et par n'importe qui. Ils présentent des degrés de sécurité différents ; mais plus il contient de sécurités, moins l'utilisation d'un service de communication électronique est commode.

Les solutions retenues par le Barreau de Paris, puis reprises par Ediavocat (sécurisation des courriers entre avocats et avec les juridictions), ne concernent pas la communication des avocats avec leurs clients, puisque ceux-ci ne font pas partie du réseau Avocaweb.

2. Sécurité ou liberté ? La problématique américaine

La problématique soumise aux autorités ordinales est la suivante, s'agissant de l'activité de l'avocat utilisant l'Internet :

L'avocat doit-il, dans les relations électroniques avec son client, couvertes par le secret professionnel aux termes de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, utiliser les méthodes les plus perfectionnées pour assurer ce secret ?

2.1 Droit comparé

La réponse à cette question nécessite d'abord un rappel de la décision récente de l'American Bar Association en cette matière, qui mérite d'être prise en considération s'agissant du pays de naissance de l'Internet, et d'une très importante collectivité de professionnels utilisant ce moyen de communication avec ses clients depuis longtemps.

Cette opinion dite "Formal Opinion" n° 99-413 du 10 mars 1999 (jointe en anglais au présent rapport), a été prise par le comité permanent d'éthique et de responsabilité professionnelle de l'American Bar Association ; elle est résumée par le "chapeau" suivant (traduction libre) :

"Un avocat peut transmettre des informations relatives à la représentation d'un client par un courrier électronique non chiffré transmis par le moyen de l'Internet sans violer les règles professionnelles type, parce que ce mode de transmission fournit, au moment technologique et juridique actuel, une confidentialité qu'on peut considérer comme raisonnable.

"Le type de confidentialité fourni par les services postaux privés et publics des Etats-Unis, les lignes téléphoniques fixes et la télécopie doit s'appliquer au courrier électronique par l'Internet. Un avocat doit se concerter avec son client et suivre ses instructions, s'agissant du mode de transmission des informations hautement sensibles relatives à sa représentation".

Le raisonnement du Comité permanent d'éthique de l'A.B.A. peut être résumé de la façon suivante :

· Les modes de communication classiques sont utilisés couramment par les avocats en dépit du fait qu'ils offrent des niveaux de sécurité imparfaits parce que la nature de leurs échanges avec leurs clients rend leur utilisation " raisonnable ".

· Les règles gouvernant les communications électroniques n'ont pas de raison d'être différentes de celles appliquées depuis longtemps dans le domaine postal ou téléphonique, où, bien qu'il soit possible d'atteindre la perfection exigée par les textes, on juge déraisonnable d'utiliser les moyens qu'elle suppose pour la transmission d'informations somme toute banales et peu convoitées.

Le Comité d'Éthique américain fait en réalité peser sur l'avocat la responsabilité de choisir, en accord avec son client, et en fonction de l'importance des informations qu'il transmet, le niveau de sécurité du moyen de leur transmission.

2.2 Recommandations

L'option aujourd'hui ouverte au Comité d'Éthique est celle de savoir s'il doit recommander au Conseil de l'Ordre de transposer les règles définies par l'American Bar Association ou s'il doit, parce que d'autres moyens existeraient, exiger que l'avocat parisien utilise des moyens placés à un niveau de sécurité supérieur.

Une telle exigence pourrait s'appliquer, aussi bien qu'aux communications de l'avocat par l'Internet, à celles verbales avec le client, (dont il faudra recommander qu'elles aient lieu dans le cabinet de l'avocat et non dans un lieu public, et que les fenêtres de celui-ci soient fermées s'il se situe dans une rue étroite ou au rez-de-chaussée) aux conversations téléphoniques (l'avocat devra se méfier des écoutes téléphoniques et des poseurs de bretelles) ; aux communications postales, (dans lesquelles l'avocat devra adapter les moyens de messagerie à sa disposition à l'importance de l'information transmise : utilisation de services privés, remise des plis en mains propres contre émargement, etc.).

Les recommandations suggérées au Comité d'Éthique s'inscrivent s'agissant des moyens de communication, dans un environnement technique bien défini.

Il paraît raisonnable, dans cet environnement, et à cet instant, de faire les recommandations suivantes :

L'avocat doit, avant d'utiliser le moyen de transmission électronique, réfléchir au niveau de sécurité qu'exige l'information qu'il va transmettre ou recevoir.

Avant d'échanger des informations avec son client, il doit se concerter avec celui-ci en attirant son attention sur les dangers de cette communication et choisir avec lui le moyen le plus approprié.

Il importe de rappeler que cette sécurité est aujourd'hui mise en danger non au moment de la transmission des messages, effectuée par "paquets", le message étant transmis par morceaux séparés reconstitués à l'arrivée, mais dans le cadre du stockage des messages, fait sous forme de fichiers électroniques entreposés ailleurs que chez l'avocat et dans un environnement qu'il ne contrôle pas.

Spécialement, paraissent aujourd'hui fournir un très bon niveau de sécurité permettant l'acheminement sûr de messages et de documents très confidentiels:

· le courrier électronique direct, avec ou sans modem, reliant le cabinet d'avocats à l'entreprise ou au domicile de son client ,

· l'inscription de l'avocat ou de son client dans l'extranet de l'autre, avec les seules fonctions de messagerie ; il convient simplement de veiller à ce que les messages soient généralement bien acheminés par les serveurs internes.

· La possibilité pour l'avocat d'accéder aux fichiers de son client pour consulter des dossiers ou déposer des messages par déplacement de fichier (mais pas l'opération inverse).

En revanche l'utilisation des connexions des fournisseurs de services et des boîtes aux lettres installées chez ceux-ci offrent un niveau de sécurité inférieur bien qu'acceptable pour des messages non cryptés d'importance moyenne.

Dans cette hypothèse, le personnel du fournisseur de services a accès aux messages qu'il peut relever, modifier ou déplacer pour des raisons techniques ; il convient donc d'être prudent s'agissant du contenu de ceux-ci. Certes, la prise de connaissance des messages litigieux serait susceptible de constituer une infraction pénale, mais cette protection légale ne doit pas être considérée comme suffisante s'agissant des précautions qui s'imposent à l'avocat.

Enfin l'utilisation des boîtes aux lettres fournies sur Internet par les "portails" (Hotmail, Webmail, etc.) doit être exclue et réservée aux correspondances d'ordre privé.

En effet, ces services offrent un mauvais niveau de sécurité, ainsi que des actes de malveillance récents l'ont montré, (des boîtes aux lettres d'avocats français ont été consultées publiquement au moyen des moteurs de recherches de l'Internet !).

3. Le mode d'établissement et le contenu de la communication électronique de l'avocat avec son client

L'examen de la question posée au Comité d'Éthique nécessite aussi une réflexion sur le mode d'établissement de la communication avec le client et sur le contenu de celle-ci.

3.1 L'établissement de la relation électronique avec le client

La première difficulté que va rencontrer l'avocat qui utilise les moyens électroniques de transmission est l'identification du client.

Lorsque l'avocat dispose d'un site Internet offrant des consultations juridiques, comme cela commence à être le cas, l'avocat peut recevoir des demandes de services de la part de personnes qui ne s'adresseront à lui que par ce moyen électronique.

Dans cette hypothèse, l'avocat va courir le risque de répondre à une personne qu'il ne connaît pas et qui pourra, utilisant l'anonymat de l'Internet, se présenter sous un pseudonyme ou sous un faux nom, ne fournissant pas d'autres coordonnées qu'une adresse électronique.

Dans ce cas, et selon le rapporteur, l'avocat doit agir avec la plus grande prudence ; il doit même s'abstenir d'agir lorsque la question qui lui est posée paraît particulière au client et n'est pas seulement une question juridique d'ordre général.

Si la question qui lui est posée émane d'un correspondant lointain qu'il ne connaît pas mais dont le déplacement est difficile, il doit, selon le rapporteur, mettre en œuvre tous les moyens connexes de contrôle (courrier, papier, télécopie, recherches dans les annuaires, renseignements divers) avant de fournir la réponse qui lui est demandée, notamment pour s'assurer de la véracité des renseignements qui lui sont fournis sur la personne à qui il répond et sur la situation qui lui est soumise.

S'agissant des clients avec qui il est déjà entré en relation antérieurement, l'avocat doit, selon le rapporteur, lorsqu'il reçoit des messages électroniques de ses clients et qu'il envisage d'y répondre, s'assurer par un autre moyen que ces derniers émanent bien du client. Plus généralement, il doit mettre en œuvre les moyens de nature à éviter que soit violé le secret professionnel si un tiers se faisait passer pour son client.

3.2 La consultation électronique

L'avocat peut, sur son site Internet publicitaire (ou dans le cadre d'un service minitel), proposer au public de répondre à des questions juridiques ; sur les sites qu'a visités le rapporteur, la réponse peut être gratuite ou payante, publique ou privée.

Si la consultation est donnée " publiquement " la réponse ne peut évidemment être donnée que gratuitement et seulement si la question est générale et ne s'applique pas au cas personnel et particulier de l'interrogateur.

Elle doit être accompagnée d'un avertissement approprié de l'avocat destiné à faire comprendre qu'il ne répond pas à son cas précis.

Il en va différemment si la question est suffisamment détaillée pour laisser deviner l'identité du client ; elle ne saurait bien entendu être publiée si le client est clairement identifié ; la réponse est évidemment susceptible d'engager la responsabilité professionnelle de l'avocat.

Dans certains sites d'avocats étrangers la réponse est fournie contre paiement d'un honoraire (généralement payé par carte de crédit via des prestataires financiers sécurisés).

C'est un mode de consultation, qui s'inscrit dans le cadre du développement inexorable du " commerce électronique ", encadré par une directive de l'Union Européenne et qui va nécessairement connaître un développement considérable ; il doit être encadré dans des règles déontologiques assez précises.

Ce mode de consultation pose à nouveau le problème évoqué ci-dessus de l'identification du client qui se présente électroniquement.

Il n'existe pas vraiment de moyen de vérifier que la personne à qui l'on va répondre moyennant un honoraire est bien ce qu'elle déclare.

Au surplus le dialogue avec ce client potentiel est rendu difficile parce qu'il se fait par l'intermédiaire de claviers.

Mais ne se trouve ont pas dans une situation identique lorsqu'on répond par lettre à un correspondant lointain qui ne peut se déplacer ?

Il appartient au Comité d'Ethique de se déterminer sur ce point.

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Au vu de ces considérations, les recommandations du Comité d'Éthique pourraient être les suivantes :

· "L'avocat qui envisage de communiquer avec un client en utilisant le courrier électronique doit, dans le respect des règles professionnelles générales applicables à son exercice, prendre les précautions suivantes :

· "il doit se concerter avec son client préalablement à tout échange, pour déterminer avec lui les caractéristiques de sécurité et du moyen d'échange électronique qui sera retenu et l'adapter à l'importance et à la confidentialité des informations à transmettre.

· "Avant de répondre au message d'un client, il doit vérifier par tous moyens l'identité de celui-ci, l'authenticité du message et l'adresse électronique à laquelle le message sera transmis".

· " S'il envisage de fournir des consultations par le biais de l'Internet l'avocat doit mettre en œuvre les moyens propres à assurer le respect des règles du secret professionnel ".