Discours de Guillaume LE FOYER DE COSTIL Président de la CNA

Au CONGRES de MALTE (octobre 2005)

Il est rare que la CONFEDERATION NATIONALE DES AVOCATS réunisse son congrès annuel en terre non francophone. C’est une bonne nouvelle, c’est le signe qu’elle entend vivre pleinement sa mission dans l’espace mondial ; l’essentiel est que nous soyons aujourd’hui en Europe, continent aujourd’hui apaisé où l’intérêt général affronte loyalement l’individu dans un ordre juridique visible, prévisible et évolutif.

Je remercie les autorités maltaises de l’accueil qui a été réservé à la C.N.A. ; je les félicite pour la façon dont ce pays magnifique est mené vers la prospérité et le bonheur ; je me réjouis que nous puissions y confronter nos expériences ;

Pour autant, la C.N.A. n’oublie pas qu’elle est un syndicat d’avocats et qu’elle doit, à ce titre, défendre des intérêts particuliers dans le respect de ceux de la collectivité ; La CNA doit, à cette occasion, dire publiquement aux autorités françaises, ici officiellement représentées, un certain nombre de vérités, dans le respect du contradictoire, auxquelles seront, bien sûr, apportées des réponses, mais qui ne la satisferont pas nécessairement.

Le thème de notre Congrès : « l’avocat traverse le temps », a pu paraître à certains mystérieux, voire ésotérique.

Il ne s’agit pas de faire faire à l’avocat un voyage dans le temps. On peut aisément constater qu’il l’a fait tout seul ; au travers de l’évolution de notre profession, passée, présente et à venir, des valeurs essentielles, et peut-être même des principes, se sont dégagés au point d’être consacrés par des textes à valeur européenne.

De ce constat découle le souhait, malgré les évolutions et en dépit des tentations, de préserver ces acquis pour parvenir à un « idéal professionnel » qui nous mette en mesure d’exercer notre métier dans des conditions qui nous satisfassent et qui servent l’intérêt général.

Nos inquiétudes concernent essentiellement nos libertés, que nous considérons comme menacées dans des domaines aussi inattendus que la procédure civile.

Nos projets sont nombreux ; nous les avons exprimés dans la plate-forme que va soutenir la liste de la C.N.A. lors des élections au Conseil National des Barreaux Permettez-moi de vous les exposer succinctement dans le temps volontairement réduit que je me suis moi-même imparti.

NOS LIBERTES MENACEES

Les Services de la Chancellerie nous réservent toujours un accueil agréable et chaleureux, Monsieur le Directeur, et nous n’avons certainement pas à nous plaindre des rapports que nous entretenons avec vous.

Il y a quelques jours le Garde des Sceaux a bien voulu recevoir une délégation de notre bureau ; nous gardons tous le souvenir d’une rencontre franche et cordiale au cours de laquelle tout a pu être dit.

Nous ne pouvons pas en dire autant de l’accueil que nous réservent habituellement vos collègues des juridictions, d’abord en qualité d’avocats, mais aussi lorsque à notre corps défendant ils nous transforment en justiciables.

Nous constatons généralement que les magistrats français ont une mauvaise opinion des avocats, qu’ils les considèrent comme des gêneurs et quelque fois comme des professionnels incompétents et arrogants. Quoi qu’il en soit, ils s’en méfient.

Je me suis demandé si nous ne devions pas considérer cela comme une réussite, puisqu’une partie de notre travail consiste à compliquer l’existence des magistrats (c’est notre mission légale puisque nous les saisissons de procès qu’ils se passeraient tout à fait de juger et que nous soulevons des exceptions de procédure qui parfois les concernent directement, lorsqu’ils sont au Parquet).

Je suis pourtant convaincu qu’il ne devait pas en être ainsi et que l’état d’esprit qui règne actuellement entre nos deux professions est le résultat de la formation séparée des jeunes professionnels ; je ne suis pas le premier à le dire : il règne, dans nos écoles, un état d’esprit d’hostilité réciproque ; nous en recueillons les fruits amers dans nos vies professionnelles.

Cela ne doit pas durer ; au surplus le fait que le Ministre de la Justice ainsi que celui de l’Intérieur soient nos confrères dans le civil, ne doit pas constituer une circonstance aggravante de cet état, bien au contraire.

Les avocats s’élèveront toujours contre l’obligation qu’il leur est faite de dénoncer certains de leurs clients au motif de la lutte contre le blanchiment, ils protesteront de façon incessante contre l’interdiction qui semble devoir leur être faite, de plus en plus durement, de réconforter les familles de leurs clients en leur donnant les indications minimales sur la gravité des faits qui sont imputés à leurs enfants, ils s’indigneront toujours qu’on leur interdise, comme peuvent le faire certains de leurs confrères de pays civilisés, de rechercher activement les preuves susceptibles d’aider à la défense des justiciables poursuivis.

Jamais nous n’accepterons que le secret professionnel, qui nous unit viscéralement à nos clients, puisse se trouver violé par des écoutes téléphoniques ou d’autres moyens techniques inspirés par les dernières réformes de procédure pénale qu’a promulgué un Gouvernement tout de même un peu démagogue, en s’appuyant sur l’inquiétude des mères de famille, et l’annonce périodique d’attentats hypothétiques et de menaces terroristes qui ne pèsent pas réellement sur notre pays.

Il est vrai que le indications récemment données par la Chancellerie au groupe de travail tripartite sont rassurantes ; Mais quels efforts pour parvenir à cette timide avancée ; et encore ne s’agit-il que de l’annonce d’un projet de loi ; que d’obstacles à franchir encore.

Mais les Français aiment se faire peur et se contrôler mutuellement, même les magistrats veulent maintenant mesurer leurs performances respectives, c’est dire ...

Dans un domaine beaucoup plus technique, la C.N.A. ne peut que s’inquiéter des réformes de procédure civile qui semblent en cours de réalisation et qui tendent à la suppression, de facto, du double degré de juridiction, de la plaidoirie et, en réalité, à l’appropriation par le juge du procès civil, autrefois « chose des parties ».

Je dois dire que je ne comprends pas cet appétit de pouvoir dans un domaine qui ne met pas en jeu l’ordre public et obéit à une logique de performance qui fait fi de la psychologie judiciaire.

La procédure, c’est comme les autoroutes, plus on en construit plus y a de circulation.

Tous les projets étatiques importants sont accompagnés d’études d’impact ; je ne suis pas sûr qu’il en a été ainsi en ce qui concerne ces réformes procédurales. Sachez en tout cas, Monsieur le Directeur, qu’en l’état des textes proposés, elles ne nous satisfont pas.

D’autres évolutions nous inquiètent et qui ressortissent à un échelon légalement supérieur en ce qui concerne la libéralisation des services.

La C.N.A. doit-elle remercier le Gouvernement d’avoir organisé un référendum au mois de mai qui a mis en évidence ce qu’elle dénonçait depuis de nombreuses années ? Ce n’est pas sûr ; toujours est-il qu’à l’heure où nous parlons, l’avocat français doit encore beaucoup au plombier polonais, grâce à qui la directive services est repartie à l’étude.

Mais si la Commission Européenne n’a pas dit son dernier mot, la profession d’avocat non plus.

UN BARREAU DE NOTRE TEMPS

Dans le domaine des évolutions conceptuelles, il en est une que la C.N.A. refuse également : c’est le rapprochement avec les juristes d’entreprise.

Nous nous voyons tous les 15 jours, Monsieur le Directeur, à la Direction des Affaires Civiles, autour d’une table, où se discutent les modalités qui pourraient être celles d’un éventuel rapprochement avec ces professionnels.

Etude approfondie, systématique, intéressante et méthodique des conséquences d’un tel rapprochement mais qui nous en montre chaque fois les dangers et, pour tout dire, l’absence totale d’intérêt pour la profession d’avocat.

Je sais qu’à l’heure où je parle, un autre congrès se tient à LYON, organisé par un syndicat, pour lequel la C.N.A. a le plus grand respect.

Le thème en est « avocat d’entreprise et juriste interne : les clés d’une coopération réussie ».

Le sujet est, semble-t-il, propice aux jeux de mots, les juristes d’entreprise sont tout à la fois devenus internes et avocats d’entreprise.

La vérité est que la profession ne veut pas de cette réforme, sous quelque modalité que ce soit, ce que montreront, certainement, les élections pour le C.N.B. du mois de novembre prochain. Elle la refuse parce que son aboutissement serait de nature à parachever le processus de diminution des libertés de l’avocat, garant des libertés.

Pouvons-nous sérieusement avoir un employeur et rester nous-mêmes ?

Avons-nous la moindre chance que subsiste l’état d’esprit indépendant des professionnels libéraux, qui garantissent la fluidité du corps social, si nous empilons la discipline des cabinets anglo-saxons, les règlements intérieurs des sociétés multinationales et les perspectives de carrière que les meilleurs d’entre nous vont former dans ce nouvel univers ?

Pensez-vous que les magistrats, qui nous considèrent déjà si mal, conserveront pour nous le moindre respect s’ils savent que nous sommes les salariés de leurs justiciables ?

L’action de la C.N.A. bénéficie d’un important soutien dans l’opinion des professionnels.

Ce projet ne doit pas voir le jour.

Enfin, la C.N.A. a un certain nombre de suggestions à vous faire. Dans le domaine fiscal d’abord, elle demande instamment et à nouveau, pour respecter l’égalité des armes dans le domaine des conflits de droit social, mais aussi pour aider nos citoyens à faire valoir leurs droits, d’étendre la déductibilité fiscale des honoraires d’avocat aux particuliers, ou en tout cas de leur appliquer un taux minoré comme pour les travaux de construction.

Les sommes en jeu ne sont pas considérables et la méthode peut être soit celle de la baisse du taux de la TVA ou, plus facilement, celle de l’instauration d’un crédit d’impôt ; les masses financières en jeu sont relativement peu importantes au regard de celles du domaine de la santé et le Gouvernement pourrait facilement faire un effort.

S’il est un domaine dans lequel le Gouvernement pourrait aussi intervenir lorsqu’il met en jeu la libre concurrence, c’est celui de l’équilibre des rapports entre les avocats, d’une part, et les prescripteurs institutionnels d’autre part (compagnies d’assurance, sociétés de protection juridique, etc....) qui tiennent les avocats dans un état d’asservissement complet parce qu’ils sont dans une position dominante et qu’ils en abusent.

La tarification de fait des honoraires au plus bas niveau par ce secteur de l’économie est un véritable scandale et les efforts individuels ou ceux des instances professionnelles se sont heurtés à des pressions inadmissibles s’exerçant sur les responsables professionnels syndicaux et ordinaux eux-mêmes.

Je suis sûr que le Gouvernement, le Ministère de l’Économie et des Finances et la Direction de la Concurrence en particulier, peuvent faire quelque chose. Nous n’y arriverons pas sans leur aide.

Voilà pourquoi nous sommes ici réunis.

Je voudrais évoquer ici, non sans émotion, le souvenir de l’Assemblée Générale Constitutive de « l’Association Nationale des Avocats inscrits aux Barreaux de France, des Colonies et Pays de Protectorat » qui se tint à LYON en 1921 et dont la C.N.A. est directement issue.

Et je conclurai, comme le fit son Comité Provisoire :

« Dans notre Association, il y a place pour tous. Chacun de nous doit s’y sentir à l’aise, pourvu qu’il aime sa profession, qu’il s’en fasse une idée haute et noble et ne sépare jamais le soin de ses intérêts du souci du bien public.

« Ce sentiment nous permettra de contribuer à réaliser, dans une pensée de concorde et de tolérance mutuelle et en même temps d’esprit d’initiative, les réformes dont l’expérience a établi la nécessité et dont la mise en pratique assurera à notre œuvre une plus large part de l’œuvre toujours renouvelée de la justice ».

C’est ainsi que l’avocat traverse le temps.

Je vous remercie de votre attention.