La fin annoncée de l’œuvre originale. Ou comment le droit peut aider à empêcher la « copie » d’une oeuvre numérique.

par Guillaume le Foyer de Costil

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La révolution numérique va-t-elle tuer le droit d’auteur ? Question sérieusement débattue. La révolution numérique élargit à de nouvelles œuvres de l’esprit le champ d’application du Code la propriété Intellectuelle, crée de nouveaux titulaires de droits et doit protéger l’œuvre d’attaques d’un nouveau genre.

Spécialement, l’œuvre de l’esprit directement créée sous forme numérique est exposée à deux dangers spécifiques et complémentaires : l’absence d’original unique et la possibilité de reproduire l’œuvre à l’infini sans aucune altération.

Si une telle situation était déjà connue des éditeurs d’œuvres littéraires et de partitions musicales, ceux-ci se trouvaient protégés par la nécessité, pour les contrefacteurs, de recourir à des moyens d’imprimerie ou de reproduction coûteux. C’était la protection par l’investissement, renforcée par la protection pénale. Il n’en va plus du tout ainsi aujourd’hui, les moyens informatiques accessibles à tous, et le réseau mondial sont au service de la piraterie des temps modernes.

Des techniques ont été proposées, comme le SCMS (Serial copy management system), qui, s’il est incorporé au fichier initialement créé, limite techniquement les copies au premier degré et empêche effectivement les « copies de copies », ou l’accès conditionnel ou temporisé à l’œuvre par un moyen de cryptage incorporant un code confidentiel incassable, qui limite l’accès à l’œuvre, dans le temps ou dans l’espace; mais ces moyens sont ils légaux ?

Les juristes ne sont pas restés inactifs et se sont rappelé que l’union faisait la force. L’union est en l’espèce la normalisation ; c’est pourquoi les deux traités internationaux de l’Organisation mondiale de la Propriété Industrielle (OMPI) du 16 décembre 1996 imposent aux états membres de rechercher des solutions unifiées efficaces.

Ces traités obligent en premier lieu les Etats à se doter de législations sanctionnant les opérations de neutralisation des dispositifs de protection efficaces incorporés à l’œuvre, dès lors que cette opération vise à la violation de droits de propriété intellectuelle.

Le texte prévoit ( Article 11, obligations relatives aux mesures techniques) : Les Parties contractantes doivent prévoir une protection juridique appropriée et des sanctions juridiques efficaces contre la neutralisation des mesures techniques efficaces qui sont mises en œuvre par les auteurs dans le cadre de l'exercice de leurs droits en vertu du présent traité ou de la Convention de Berne et qui restreignent l'accomplissement, à l'égard de leurs œuvres, d'actes qui ne sont pas autorisés par les auteurs concernés ou permis par la loi. »

Cette obligation cache en fait une autorisation (finalement assez récemment transposée en droit français) : celle des systèmes de cryptage, dont la commercialisation et l’usage n’ont été complètement libéralisés en France qu’il y a seulement quelques mois

L’obligation de protéger effectivement les systèmes anti-piratage contre les professionnels du décodage énoncée par le traité OMPI n’a pas encore été transposée expressément en droit français (sauf dans le domaine spécifique des décodeurs d’émissions de télévision), mais le moment de cette transposition approche puisque, déjà, une proposition de directive de l’Union Européenne sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur prévoit dans son Article 6 :

« Les Etats membres prévoient une protection juridique appropriée contre la neutralisation non autorisée de toute mesure technique efficace destinée à protéger tout droit d'auteur ou droit voisin du droit d'auteur tel que prévu par la loi ou le droit sui generis…, y compris la fabrication ou la distribution de dispositifs, produits, éléments … principalement conçues, produites, adaptées ou réalisées en vue de permettre ou de faciliter la neutralisation de la protection
de mesures techniques efficaces destinées à protéger tout droit d'auteur ou droit voisin du droit d'auteur
. »

Et le texte poursuit, à l’adresse des pays membres encore tentés par l’interdiction du cryptage :

« Les mesures techniques ne sont réputées efficaces que lorsque l'accessibilité à l’œuvre ou son utilisation ou celle d'un autre objet protégé sont contrôlées grâce à l'application d'un code d'accès ou de tout autre type de procédé de protection qui atteint cet objectif de protection de manière opérationnelle et fiable avec l'autorisation des ayants droit. Ces mesures incluent le décryptage ou la désactivation de brouillage ou toute autre transformation de l’œuvre. ».

Et même si la proposition de directive n’est pas immédiatement adoptée, on imagine que la prochaine étape va consister en la transposition de cette obligation dans le droit français, qui prévoira des sanctions pénales contre les « désactiveurs » de protections électroniques contre la contrefaçon.

Mais il appartient encore aux auteurs et à leurs éditeurs de les rendre toujours plus efficaces, c’est la logique de surenchère du glaive et de la cuirasse.

décembre 1999