L'avocat
français: littéraire ou scientifique?
par Guillaume le FOYER de COSTIL
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Un concept scolaire vieux comme le monde appliqué à la
profession d'avocat! Quel rapport avec notre exercice professionnel? Pourtant une telle
approche du caractère des praticiens français du droit s'impose aujourd'hui; nos anciens
ne pouvaient concevoir que leurs confrères n'aient pas fait leurs
" humanités " (latin-grec, Corneille et Racine, Voltaire et
Châteaubriand, puis plus récemment Georges Fourest et Paul Eluard); ils pensaient en
revanche qu'ils devaient négliger superbement les mathématiques et les sciences
physiques.
Les missions de l'avocat français contemporain peuvent pourtant être nettement classées
en deux catégories bien distinctes: L'avocat se charge d'une mission à caractère littéraire lorsqu'il se pose en
interprète de la réalité et s'efforce de présenter au juge, au travers du prisme de
son talent, une vision améliorée de la réalité favorable à son client, et de
montrer à ce dernier une vision prospective et généralement inquiétante des solutions
judiciaires.
Si la falsification grossière de documents est susceptible de conduire l'avocat devant le
tribunal correctionnel, il est significatif de relever, qu'au nom des droits de la
défense, notre culture latine admet parfaitement, au pénal comme au civil, le mensonge
judiciaire par omission. De même n'existe-t-il pas d'obligation réellement sanctionnée,
tant pour l'avocat que pour son client, de contribuer à la manifestation de la vérité.
C'est certainement une très bonne chose; et ce devrait même être l'un des critères
déterminant le caractère démocratique d'un état.
Mais cela crée chez le praticien du droit chargé habituellement d'une telle mission un état
d'esprit poétique appliqué à la mise en forme remarquable d'argumentaires
séduisants mais parfois dépourvus de force juridique mécanique. A l'inverse, l'avocat chargé de déposer une marque, celui qui reçoit un mandat
fiscal ou qui organise le régime fiscal de la prestation compensatoire dans un divorce
sur requête conjointe a, nécessairement, des rapports sans complaisance avec la
réalité. Il sait tout aussi nécessairement que toute erreur est susceptible
d'entraîner la mise en jeu de sa responsabilité civile et de générer le cas échéant
des poursuites disciplinaires. On peut alors dire qu'il se charge d'une mission à
caractère scientifique. Dans de telles situations l'avocat entretien avec le réel des rapports de causalité
directe qui développent chez lui un état d'esprit rationaliste, en dépit même
de l'imprévisibilité des solutions judiciaires appliquées ultérieurement à sa
construction intellectuelle; généralement, (sauf parfois la typographie et les
reliures), cet avocat ne se préoccupera pas de l'esthétique et de la séduction formelle
de son travail. Ces deux catégories distinctes étant définies l'on se trouve en présence d'une
problématique simple, mais aux conséquences considérables: ces deux types de
missions peuvent-elles être correctement remplies par la même personne? Mettons de côté l'avocat exceptionnel doué de toutes les qualités; il n'en existe
pas. Prenons d'abord l'avocat pénaliste; confronté aux incertitudes temporelles de
l'instruction préparatoire qui bouleversent perpétuellement son agenda, à l'arrivée
incertaine de la loi pénale plus douce, à la sensibilité du jury populaire, et plus
généralement au principe de l'opportunité des poursuites; il vit dans un monde
incertain où son autorité personnelle prend toute sa mesure. De louables tentatives de
la " mécanisation " du droit pénal, promu " matière
technique ", se sont brisées sur l'arbitraire de la Chambre Criminelle.
Prenons ensuite le spécialiste de propriété intellectuelle, même dans ses activités
juridiques. Comment, autrement qu'avec talent et imagination, expliquer à son client
qu'il pourra convaincre le juge d'une imitation frauduleuse, lorsque la contrefaçon n'est
pas exactement constituée, ou montrer au juge le plagiat d'une oeuvre de l'esprit, même
de la catégorie des logiciels.
De retour dans le monde réel, ces deux professionnels sauront-ils discipliner leur
esprit, pour l'appliquer à des activités extrêmement causales, comme le choix des
classes dans le dépôt d'une marque, ou le respect de délais dans les déclarations
fiscales?
Prenons à l'inverse l'avocat exerçant habituellement son activité dans la cession des
fonds de commerce. Habitué à la lecture de bilans dont il extrait les ratios de
rentabilité qui permettent, ou non, l'accord des parties sur le prix, il sait qu'aucune
explication poétique ne remplacera la réalité d'un chiffres d'affaires et que
l'enregistrement d'un acte est seul de nature à lui conférer date certaine.
La réponse à cette question n'existe évidemment pas; force est de constater que
beaucoup d'avocats d'aujourd'hui pratiquent simultanément, alternativement ou au moins
successivement, les deux exercices, parfois même avec bonheur; mais n'y a-t-il pas, à
l'issue de cet exercice littéraire à vocation
malgré tout entomologique, des recommandations à faire à nos confrères et à nos
instances professionnelles?
L'avocat aura toujours assez de talent; statistiquement les poètes littéraires
parviendront toujours à franchir, dissimulés sous l'aspect de techniciens du droit, les
épreuves redoutables de l'admission à la profession.
Point n'est dès lors besoin d'encourager les vocations; il suffira aux futurs cerbères
de l'accès au Barreau de considérer l'aptitude à la conviction comme une matière à
coefficient.
En revanche l'avocat ne sera jamais trop sérieux dans son exercice professionnel; il en
va de la survie de la profession; la complexification du monde, la concurrence de
professions par nature scientifiques, sur le même marché, rend indispensable une
prise de conscience forte et double.
D'abord dans l'organisation des cabinets d'avocats, fonctionnelle, comptable,
informatique et documentaire; dans le choix des structures ou, plus radicalement, du mode
d'exercice (individuel ou groupé) une évolution rapide des mentalités apparaît
indispensable.
Nos cabinets, même individuels, sont aujourd'hui des entreprises, taxées, contrôlées,
et vérifiées; ce n'était pas le cas il y a trente ans; il faut en tirer les
conséquences dans nos comportements quotidiens; penser aux processus de normalisation et
de certification des méthodes d'organisation des entreprises du secteur tertiaire; et
mettre enfin en place les procédures convenables pour assurer dignement par la
mutualisation, la sortie obligatoire des confrères trop âgés pour évoluer ou
simplement incapables de s'adapter à ces nouvelles contraintes.
Ensuite dans le traitement des dossiers; en premier lieu en sachant refuser ceux
pour lesquels ils ne sont pas compétents, ce qui est aujourd'hui une obligation
déontologique; en deuxième lieu en faisant comprendre aux justiciables que ce traitement
ne peut être que sérieux et qu'il a un coût lié au statut d'entreprise de l'avocat et
à l'extrême complexité du droit, dont celui-ci n'est pas responsable; puis en adoptant
les méthodes bureautiques appropriées dont le coût n'est plus prohibitif.
Enfin dans leurs comportements sociaux; les avocats doivent cesser d'être des
adolescents attardés; il n'est pas acceptable qu'un avocat se rende coupable de fraude
fiscale, qu'il ne s'acquitte pas de ses obligations sociales, qu'il néglige la discipline
quotidienne de la société; qu'il fasse attendre ses clients ou ses confrères sans
raison ou qu'il ne soit pas maître de son humeur.
Cette évolution a un coût social important, elle doit inexorablement se faire; elle
seule est de nature à éviter la création du " barreau à deux
vitesses " que nous craignons tous.