GROUPONS NOUS ET DEMAIN....
Défense et Illustration de l'Exercice en groupe

par Guillaume le Foyer de Costil

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Longtemps nous avons travaillé seuls, fiers d'une indépendance chaque jour chèrement acquise, au prix d'angoisses nocturnes et d'inquiétudes financières, chargés de responsabilités et de tracas, méprisant le confort douillet des firmes, jaloux du contrôle social et des feuilles de temps, admirateurs du loup, contempteurs du chien, campés sur la roche sauvage de l'artisanat, les derniers à Rome mais les premiers à Clocher-lès-Bécasses, comme autant d'Astérix face aux légions de la Law Society.
Mais ce temps est fini. Nous devons admettre l'arrivée de la raison, accepter l'Autre et son cortège d'altérités. Supporter sa différence et ses idées nouvelles; en un mot: nous discipliner.
C'est à ce seul prix, dans un monde ouvert aux efficacités professionnelles de groupes culturellement soudés, offrant aux clientèles conformistes la face alléchante de leur modernité, que nous pourrons maintenir l'identité professionnelle française, riche de clientélismes et d'imaginations, et seule apte à tirer parti de nos qualités, comme de nos défauts.
Cet obstacle culturel vaincu, ceux d'entre les lecteurs qui auront franchi, en le supportant, ce moment pénible d'auto-flagellation, se demanderont où je veux en venir; tout simplement à les convaincre de se grouper professionnellement.
Les caractériels exceptés, (ils sont en voie de disparition, grâce aux psychanalyses en cours de leurs parents), tout avocat devrait se grouper (au moins avec un autre, pour l'instant...); c'est utile et facile.

1. Utile
Aujourd'hui, qui peut sérieusement prétendre répondre à toutes les interrogations de ses clients, en toutes matières? Seul un groupe d'avocats, chacun exerçant dans un ou plusieurs " domaines du droit ", est à même de répondre à la demande globale de droit du public.
Consulter son avocat, c'est aussi profiter indirectement de son environnement; dans la solitude de son cabinet, le généraliste individualiste ne peut interroger personne; il répond du haut de ses certitudes non-renouvelées et entraine ses clients vers des solutions dépassées ou routinières.
Etre responsable, c'est prévoir sa défaillance, physique ou professionnelle; les ravages des maladies cardio-vasculaires, les conséquences d'un état dépressif, la disparition brutale d'un client quasi-unique, l'emport d'une clientèle par un collaborateur " fidèle ", sont autant d'événements indolores s'ils sont mutualisés, répartis sur de nombreuses têtes, car deux malheurs surviennent rarement de concert. Etre responsable c'est aussi constituer des réserves non imposables, par l'option à l'impôt sur les sociétés, désormais accessible aux S.C.P.
Conquérir de nouveaux marchés c'est d'abord investir: dans un cabinet secondaire, en France ou à l'étranger, c'est déménager dans des locaux plus fonctionnels, acquérir des matériels nouveaux et séduisants, embaucher des collaborateurs, communs mais spécialisés dans de nouvelles branches du droit, créer des services généraux, utiles et agréables, se lancer dans la publicité, surprenante mais efficace, mais c'est surtout atteindre par le regroupement, (au moins pour certains cabinets), la taille critique qui permettra au droit français de reprendre son rang international.
Etre " de son temps " c'est ainsi renoncer à des souverainetés dérisoires, généralement d'ordre ménager (comme la couleur d'une moquette) pour se rendre pleinement maître de son destin d'avocat (par le choix d'une activité dominante).
Appartenir à un " gros cabinet " c'est lier son destin à des personnalités différentes, parfois riches et toujours variées, c'est apprendre à connaître d'autres individualités, c'est découvrir des talents cachés, c'est bénéficier de solidarités insoupçonnées, c'est aussi se révéler à soi-même dans une aventure collective. Mais si c'est utile, c'est aussi facile.
2.Facile

Trouver à se " caser " comme associé, ce n'est pas si compliqué, quelque soit la région où l'on exerce; il y a toujours, pour peu que l'on ait un début de clientèle, et le minimum vital de chiffre d'affaires, un confrère dont on découvre, au détour d'une conversation au café du Palais, que lui aussi, meurt de solitude....
Si l'on commence à deux, ou trois, il vaut mieux se marier avec son semblable; et vivre l'égalité absolue, parce qu'au même âge, et dans la même région, on a généralement les mêmes besoins, et la gestion se fait dans les mêmes finalités.

On peut aussi, après avoir entamé un début de carrière, se mettre respectueusement en SCP avec un Monsieur d'un certain âge, qui vous laissera sa clientèle en partant à la retraite, et dont on rachètera les parts avec un confrère plus jeune, lui aussi soucieux de collectif.

S'agissant des groupes plus nombreux, si l'on n'y est pas entré par le rang, dans le cadre d'un recrutement interne, il faut cependant savoir que les " gros cabinets " n'hésitent pas à croître par accrétion de cabinets individuels existants; dès lors que ceux-ci apportent un chiffre d'affaires suffisant, et peuvent, après une éventuelle toilette des charges, dégager la marge normalisée, ils sont souvent intéressés par une croissance externe contrôlée ; certaines de ces unions peuvent même se faire d'abord à perte, pourvu qu'il y ait des espérances de complémentarité, la clientèle du cabinet suffisant vite à valoriser la compétence du nouvel entrant.
Contrairement aux idées reçues, on ne perd pas son identité en se groupant. Les groupes d'avocats sont généralement respectueux des manies de chacun, pourvu qu'elles soient profitables et que l'argent rentre plus vite qu'il ne sort.
Un grand cabinet est une sorte de " Village Suisse " du droit, où chaque associé à part entière gère son centre de profit, conserve des relations privilégiées avec ses clients, qu'il fait cependant bénéficier de la compétence complémentaire de ses associés; et chacun profite de " l'effet d'image " de la firme, ou du groupement, que les plus avisés gérent dans l'intérêt général, comme le reste des services communs.
Comme dans tout groupe humain, il y a parfois des tensions; mais dans notre profession, il y a tant de relais intermédiaires que nous savons très bien résoudre les conflits " en famille "; nous connaissons trop bien la justice pour avoir l'imprudence de l'utiliser; et il y a toujours un ancien Bâtonnier pour concilier des associés fâchés et les séparer en douceur.
Enfin il n'y a pas d'emprisonnement dans l'exercice en groupe; on peut toujours se retirer, poliment et avec délicatesse, mais librement.
Que ceux qui ont encore peur des autres m'appellent; j'en ai fait l'expérience: ils ne sont pas si méchants.

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