LOrdre et les cinq psychanalyses Par Guillaume le FOYER de COSTIL Discours pour le prix Taittinger 1997 sur le sujet : "Faut il avoir le Bâton pour maintenir l'Ordre"
Au commencement est lenfance de lOrdre ;
Au commencement sont les cinq psychanalyses.
En 1807 avec le petit Hans (celui de la deuxième) lOrdre découvre son bâton ;
Il a peur de le perdre; il a peur quon le lui prenne, et peut-être même quon le lui coupe !
Il sait que tout le monde en a un, ou quil en poussera bientôt à ceux qui nen ont pas encore,
Il lexplique à sa maman, qui travaille depuis 1814 dans la Restauration.
Comme le petit Hans, lOrdre a aussi un papa,
Ce papa cest déjà Monsieur le Bâtonnier, qui a travaillé comme contremaître dans lentreprise de Monsieur Napoléon ;
Le petit Hans sidentifie à son papa, tout naturellement; du coup il se met à aimer sa maman, pour faire comme son papa ;
LOrdre voudrait faire tout pareil ; mais cest interdit ; si lOrdre devenait le Bâtonnier ce serait le chaos; si on ne faisait pas attention lOrdre pourrait même devenir complètement paranoïaque, comme le Président Schreber, de Chemnitz, que le docteur FREUD a soigné aussi dans son livre !
Alors il risquerait de se suicider, comme Monsieur Parlement, lami du grand-père de son papa qui faisait des Saluts Publics dans des comités.
Maintenant lOrdre a grandi, le petit Hans aussi; le docteur FREUD sest débrouillé pour leur faire comprendre à tous les deux que ce fameux bâton, tout le monde ne peut pas lavoir ;
Il leur a expliqué quen fait cétait juste un symbole; que personne ne voulait le leur prendre, même les petites filles qui simaginent follement quun jour elles pourraient porter des robes noires.
Le petit Hans a lu en secret le Que sais-je? sur les perversions sexuelles de Gérard BONNET, il y a trouvé une définition très intéressante qui a retenu son attention ; il y est écrit: « Le fétiche est un objet, dont lattribution est le secret de la jouissance ».
LOrdre aussi a lu cette définition ; il sait maintenant quil ne peut pas être tout de suite Monsieur le Bâtonnier ; il sait que cest un personnage différent de lui ; et quil faut bien lui obéir parce que cest lui qui commande.
Le Bâton, cest Monsieur le Bâtonnier qui la ; et personne dautre ; Maman, elle, na quun rouleau à pâtisserie.
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Plus tard encore. Le petit Hans est devenu une grande personne; Il sest acheté des livres de Michel FOUCAULT, il en a lu un, qui sappelle « les mots et les choses », et qui parle très longuement dun tableau espagnol de VELASQUEZ; il y est écrit:
« le signe nattend pas silencieusement la venue de celui qui peut le reconnaître: il ne se constitue jamais que par un acte de connaissance ».
Il a réfléchi à la question; au début, il ne voit vraiment pas le rapport avec le Bâton ; ça ressemblerait plutôt à un extrait de traité de droit des marques, mais il se dit que ça fera toujours une jolie citation ; puis il comprend; si ce bâton lui paraissait si enviable, cest quil lavait vu brandir par quelquun de très sévère ; et il découvre que cétait un signe, pas un objet.
Sil lui reste encore quelques petites névroses malgré sa crise de 1968, cest bien normal ; dailleurs, bien quil soit Germain, elle ne fait de mal à personne sa collection de cannes et de parapluies; il ne lui viendrait pas à lidée de se servir vraiment de lune de ses 87 cannes-épée ;
Oui, dans lensemble, le docteur FREUD la vraiment bien soigné en lui faisant expliquer son histoire et en le racontant dans son livre..
LOrdre cest pareil ; le Docteur KARPIK lui a plusieurs fois demandé de lui parler de son enfance ; il croit bien sêtre souvenu de lépoque où il était encore dans le ventre de sa maman, il sest remémoré ces moments mystérieux où un personnage chamarré venait installer dans sa chambre des Lits en Justice ; il a revu lépoque où un Monsieur plus sévère encore que Monsieur le Bâtonnier, habillé tout en rouge, lui enlevait brutalement ses affaires « pour les mettre en État de Sûreté! » disait-il méchamment.
Il a encore quelques petites phobies : par exemple, il ne supporte pas de voter par correspondance ; lautre jour il sétait décidé, il avait même commandé les petites boîtes à boutons ; mais il ny a rien eu à faire; Monsieur le Bâtonnier avait lair tellement effrayé par toute cette mécanique! Il na pas osé le contrarier pour si peu.
Il a aussi horreur des chiffres, cest ennuyeux, parce que cest tout de même parfois utile ; mais il sest vraiment promis de continuer sa thérapie de déontologie du conseil ; encore une dizaine de séances, quelques bilans et tout devrait bientôt rentrer dans lordre!
Il a bien avancé sa collection de Bâtonniers; elle est presque complète; il a trouvé la dame dans un magasin de lavenue Victor Hugo ; il lui manque juste le troisième roi mage, mais il le trouvera un jour, comme son cousin de Bobigny.
Mais tous ces bâtonniers, avec leurs bâtons de toutes les formes, gros, longs, larges ou aplatis, lOrdre ne sen sert pas beaucoup ; en fait il est devenu très raisonnable, et très simplement il ne voit pas très bien ce quil en ferait ; il ne va tout de même pas jouer avec leurs bâtons, en les brandissant comme dans Robin de Bois!
Finalement, tous ces bâtons, ce ne sont que des Symboles !
Les bâtonniers, il les échange de temps en temps avec ses cousins étrangers ; il les dispose parfois sur lestrade de la Galerie avec sa collection de membres du Conseil, assis bien en rangs sur des chaises dorées.
Il permet quelques fois aux membres du Conseil de lui envoyer des lettres très sérieuses auquel il samuse de temps en temps à répondre, pour leur faire plaisir, ou des rapports très épais et très ennuyeux quil ne lit jamais.
Il leur permet même de jouer des petits procès, dans lesquels ils font semblant de se juger ; mais il les surveille attentivement ; et Monsieur le Procureur Général le prévient tout de suite, sil sent quils se prennent trop au sérieux!
Dailleurs, sil y a quelque chose quil ne permettra plus jamais à ses bâtonniers, cest de lui parler durement comme ils le faisaient autrefois ;
Il aura bientôt deux cents ans, tout de même!